L’optimisation des processus industriels déjà au coeur des préoccupations
AOÛT 2022
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Les processus industriels du naval de défense sont par nature complexes puisqu’ils comprennent, via de multiples opérations industrielles lourdes et parfois simultanées, l’intégration physique de plusieurs centaines de milliers d’objets (jusqu’à un million pour un SNLE), alliée à l’intégration fonctionnelle de nombreux systèmes, et à leur maintien en condition opérationnelle. Le modèle industriel retenu actuellement par l’Etat conduit l’industrie à livrer pour les programmes français, par exemple, une frégate tous les 12 mois en moyenne. En réalité, les industriels qui maîtrisent ces processus cherchent en permanence à en réduire les délais pour répondre aux besoins de leurs clients, nationaux comme export, et rester à la fois compétitifs et performants.
C’est ainsi que Naval Group, en investissant plusieurs millions d’euros ces dernières années, a renouvelé son outil industriel à Lorient et digitalisé ses processus industriels lui permettant aujourd’hui de livrer si besoin une FDI tous les 6 mois 1. Cette dynamique globale s’articule notamment autour de l’objectif de produire une corvette en 20 mois et une frégate en 30 mois.
- Dans le même ordre d’idée, le temps d’assemblage de 20 tronçons de coque à la mise à l’eau du Jacques Chevallier, premier des BRF (Bâtiment Ravitailleur de Force), a été fait en 50 jours aux Chantiers de l’Atlantique et il partira en essais à la mer moins d’un an après sa mise sur cale.
- Aller encore plus loin pour optimiser les processus et maximiser la disponibilité des navires exigerait des efforts et des investissements supplémentaires pour revoir non seulement les capacités industrielles (infrastructures), mais également l’organisation de la chaîne de valeur (BITD), duale à 75% et répondant ainsi à des logiques de marché, la question des ressources humaines et enfin le cadre normatif et contractuel.
- La présente note a donc pour vocation de formuler des propositions dans le cas où la France entrerait en économie de guerre, exigeant de ce fait une accélération des cadences des programmes navals (neuvage comme refonte ou MCO).
1 : Chez Naval-Group Lorient, la conception simultanée et intégrée de la plateforme et du système de combat, avec le Panoramic sensors and Intelligence Module (PSIM), a déjà permis d’optimiser le processus industriel en parallélisant les chemins critiques et de gagner ainsi 12 mois par rapport aux navires de la génération précédente. De même, le flotteur de la première frégate FDI a été assemblé en moins de 4 mois.
Les capacités industrielles
Pour augmenter la capacité industrielle des entreprises du secteur, il existe plusieurs hypothèses et conditions associées :
Financer des investissements pour rénover et développer les infrastructures industrielles existantes, en mobilisant l’Etat, les collectivités territoriales et d’autres acteurs publics/privés (gestionnaires des ports, investisseurs privés…).
Envisager des transferts de charge supplémentaires soit au sein d’un même groupe industriel, entre programmes et sites de production lorsque cela est possible ; soit vers des partenaires français ou des partenaires européens.
Acquérir ou s’allier avec des chantiers étrangers (européens prioritairement) pour constituer des réserves de compétences ou répartir des productions entre export et programmes nationaux.
A moyen terme, transformer des infrastructures portuaires qui pourraient être adaptées pour des besoins industriels en lien avec la construction ou la réparation navale.
PROPOSITIONS :
#PROPOSITION 1
Mettre en place un plan de relance et de développement de la production industrielle mobilisant l’Etat, les collectivités, les gestionnaires d’actifs portuaires et les investisseurs privés.
#PROPOSITION 2
Identifier avec les industriels les infrastructures prioritaires à rénover ou à augmenter (exemples : bassin 2 et second hall de préfabrication et plateforme d’intégration à terre supplémentaire chez Naval Group Lorient).
#PROPOSITION 3
Répartir des activités sur différents sites ou avec des partenaires français et/ou européens (exemple pour les anneaux de coque ou de demi-flotteurs « pré-armés ou armés » dans les chantiers navals).
#PROPOSITION 4
Accompagner les propriétaires ou dirigeants de chantiers navals dans leur stratégie de développement pour acheter ou disposer d’autre sites industriels en Europe.
#PROPOSITION 5
Lancer un groupe d’étude pour inventorier les infrastructures portuaires qui pourraient être transformées ou adaptées pour des besoins industriels en lien avec la construction ou la réparation navale.
L’intégration des opérations pour toute la chaîne de valeur
L’augmentation des cadences de production de navire dans les chantiers navals passe par l’augmentation du rythme des systèmes à intégrer et donc par la capacité de toute la chaine de valeur à suivre une telle accélération, en raison de :
L’interdépendance entre intégrateurs et équipementiers militaires - Ils sont soumis à une capacité de production de systèmes dont le délai d’approvisionnement est souvent long et sur le chemin critique d’un programme et ils peuvent par ailleurs produire des senseurs et des systèmes d’armes pour d’autres domaines que le naval de défense ;
La concurrence pour les approvisionnements effectués par les sous-traitants – En effet, le naval de défense peut ne représenter qu’une part marginale de l’activité des fournisseurs, pour la plupart duaux. Malgré une supply chain ultra majoritairement française et européenne (97% des fournisseurs Naval Group par exemple), il subsiste en outre des dépendances étrangères pour certains équipements critiques (moteurs, auxiliaires…).
PROPOSITIONS :
#PROPOSITION 1
Avoir la possibilité, via un mécanisme réglementaire à définir, de réallouer les capacités des sous-traitants utilisées jusque-là au bénéfice de marchés civils pour donner ponctuellement la priorité au marché du naval de défense et garantir ainsi la disponibilité des équipements ou des
approvisionnements.
#PROPOSITION 2
Anticiper la mise en place de dispositions avec les fournisseurs clés pour leur donner de la visibilité et garantir ainsi un alignement entre leurs capacités et les besoins des chantiers navals (ex. : ébauches, tôles pour coques, cartes électroniques).
#PROPOSITION 3
Constituer des stocks stratégiques ou tampons à l’échelle européenne avec des partenaires privilégiés pour les équipements de plateforme, les matériaux, les matières premières et les composants électroniques, en anticipant la commande des composants les plus critiques et avec un engagement sur des volumes réservés à la construction et la réparation navales de défense.
#PROPOSITION 4
Intéresser les grands groupes logistiques français pour mettre en place des plateformes de ce type avec une garantie et un soutien de l’Etat pour stimuler les opérateurs du secteur.
#PROPOSITION 5
Autoriser, pour les matériaux non critiques, des approvisionnements hors de France, voire d’UE (ex. : tôles pour coques de bâtiments de surface).
#PROPOSITION 6
Mettre en place des accords bilatéraux avec les pays fournisseurs de composants critiques et/ou soutenir la relocalisation de filières en France et en Europe (cartes électroniques, batteries, cloud numérique).
#PROPOSITION 7
Inscrire dans un contrat de filière commun entre l’Etat et l’industrie un objectif de relocalisation et de production autonome d’équipements de plateforme critiques (moteurs, auxiliaires mécaniques…).
La problématique des ressources humaines et des cadences de travail
Etant une industrie de main d’oeuvre, le secteur subit déjà un manque de souplesse et ne dispose pas actuellement de tous les travailleurs dont elle a besoin. Les besoins en recrutement ou en renouvellement sont importants, Plus de 4500 nouveaux collaborateurs ont rejoint Naval-Group en trois ans et les Chantiers de l’Atlantique ont l’objectif d’embaucher 400 personnes en CDI d’ici la fin de l’année.
Cependant, à la demande de l’Etat actionnaire, le seuil de compétences est parfois maintenu « au plus juste » dans certains chantiers ou entreprises. Si les industriels se sont organisés dans le respect des réglementations pour répondre aux pics de charge, comme on le voit actuellement avec la montée de la menace, il existe des freins qu’il faudra lever, via un dialogue tripartite Etat/industrie/partenaires sociaux, si l’Etat souhaite une accélération des cadences :
Modification ponctuelle des rythmes de travail industriel (ex. travail en 3x8), mais qui représente un coût supplémentaire et se heurte à la réglementation du travail dès lors qu’il s’agit de la faire durer dans le temps ;
Recours à la sous-traitance, mais le marché reste tendu dans les bassins d’emploi concernés. Le secteur industriel subit en effet un manque d’attractivité et nombre de ses métiers sont déjà en tension, en particulier les métiers de production, difficiles et nécessitant une formation longue. L’action vigoureuse actuellement menée sur la formation (dispositif du Campus des industries navales) ne portera véritablement ses fruits que dans une dizaine d’années ;
Recours exceptionnel à des personnels qualifiés en provenance de pays alliés en cas de main d’oeuvre nationale insuffisante. La réglementation actuelle vient limiter l’accès des industriels à ce type de moyen.
De plus, la question de l’utilisation des réserves militaires (au sens de la Garde Nationale) se pose aussi pour une meilleure fertilisation croisée entre l’Etat et l’industrie et d’éventuels renforts dans un contexte de mobilisation des moyens.
PROPOSITIONS :
#PROPOSITION 1
Maintenir par la commande publique un volume d’activité permettant de préserver les compétences, notamment en acceptant que les industriels disposent d’une réserve de capacité en ressources humaines pour permettre des montées en cadence le cas échéant.
#PROPOSITION 2
Renforcer le soutien de l’Etat et des régions pour améliorer la formation et l’attractivité de la filière.
#PROPOSITION 3
Faciliter la venue de personnels qualifiés venant de pays alliés en cas de besoin supplémentaire de main d’oeuvre lié à l’économie de guerre.
#PROPOSITION 4
Avoir la possibilité via un mécanisme à définir de réallouer les ressources humaines utilisées jusque-là au bénéfice de marchés civils pour donner la priorité au marché du naval de défense.
#PROPOSITION 5
Etudier l’instauration d’une filière de réserve militaire marine en entreprise (modèle inspiré de la « sponsored reserve » en Grande Bretagne) dans des postes embarqués ou à terre et pouvant basculer d’un statut de salarié d’entreprise à celui de militaire, pour accélérer certaines tâches de production ou de réception de matériel.
Les aspects réglementaires et contractuels
Comme évoqué supra, les calendriers de développement/production/entretien/livraison dans le domaine naval sont fonction du niveau de complexité des programmes. Ils le sont tout autant du niveau des capacités financières allouées, des spécifications demandées par les Armées et des processus de validation / qualification des Armées et de la DGA. Toute rupture dans le financement, toute évolution dans les spécifications, voire les sur-spécifications et toute redondance dans les processus de qualification induisent alors automatiquement des allongements de cycle.
Par ailleurs, et dans un contexte d'évolutions technologiques rapides, il devient nécessaire de concevoir, produire et intégrer plus vite de nouvelles adaptations capacitaires au cours du cycle de vie d'un bâtiment de combat ou d'un équipement. Si des procédures urgentes de type UOR existent, elles ne constituent pas en soi des modèles d'adaptation capacitaire continue des plateformes ou équipements. Une nouvelle approche contractuelle, intégrant les deux piliers que sont les stades de production puis d’utilisation (neuvage et suivi en service), doit être généralisée. C’est tout l’objet des programmes à effet majeur (PEM) pour les évolutions des matériels déjà livrés, comme par exemple pour les SNA (PEM EVOL SNA) et les frégates de premier rang (PEM EVOL FREGATES) de la Marine nationale. Ce type d’évolution incrémentale constitue en effet le moyen d’adapter, de manière régulière et plus rapide, la flotte aux nouvelles menaces et d’atteindre le niveau opérationnel attendu, tout en limitant les périodes d’immobilisation des navires.
PROPOSITIONS :
#Proposition 1
Accélérer les phases de contractualisation, éviter les sur-spécifications, réaliser des démonstrations rapides et adapter les processus de certification/qualification au juste besoin pour en réduire les délais.
#Proposition 2
Clarifier la répartition des rôles et des responsabilités entre les différents services étatiques dans le but d’optimiser l’ensemble du dispositif en cas d’économie de guerre. Eviter ainsi toute redondance entre l’activité de la DGA (maîtrise d’ouvrage), du SSF (MCO et gestion de configuration du navire) et de la CPPE (expérimentations, autorisation de naviguer et contrôle du référentiel de sécurité maritime).
#Proposition 3
Renforcer le rôle et l’action des centres techniques de la DGA pour accélérer les recettes et qualifications de matériels.
#Proposition 4
Ajuster la politique de mise en concurrence contractuelle pour certains équipements, en diminuant les délais lorsqu’elle est maintenue.
#Proposition 5
Poursuivre la généralisation d’un nouveau modèle contractuel adapté aux évolutions incrémentales (PEM EVOL) et les abonder budgétairement.